L’année dernière, j’ai refusé un poste dans une startup prometteuse pour rester dans ma boîte « sécurisante ». Six mois plus tard, la startup a levé 50 millions et mes anciens collègues ont tous eu des stock-options. Pendant des semaines, je me suis massacré : « Comment j’ai pu être si aveugle ? C’était évident que cette startup allait cartonner ! N’importe qui aurait vu le potentiel, sauf moi. » Mon père m’a alors posé une question simple : « Au moment de ta décision, est-ce que tu savais qu’ils allaient lever autant ? » Bien sûr que non. Mais dans ma tête, j’étais censé l’avoir deviné.
Vous aussi, vous vous reprochez de ne pas avoir « vu venir » des choses qui vous semblent évidentes aujourd’hui ? Cette impression frustrante d’avoir été aveugle sur des signes qui paraissent maintenant criants ?
Le piège de la clairvoyance imaginaire
Notre cerveau nous joue un tour vicieux avec nos regrets. Une fois qu’on connaît l’issue d’une situation, on a l’impression qu’elle était prévisible depuis le début. Les psychologues appellent ça le « biais rétrospectif » – cette tendance à penser qu’on « savait » ou qu’on « aurait dû savoir » ce qui allait se passer.
C’est comme regarder un film policier en connaissant déjà l’identité du coupable. Tous les indices semblent évidents, on se dit « c’était tellement flagrant ! » Mais la première fois qu’on regarde sans connaître la fin, on ne voit rien venir.
Ce biais transforme nos erreurs normales en preuves d’incompétence. On s’en veut non seulement pour nos mauvais choix, mais aussi pour notre supposée « stupidité » de ne pas avoir anticipé leurs conséquences.
Cette auto-flagellation nous empêche d’apprendre vraiment de nos expériences et sabote notre confiance pour les décisions futures.
La technique du « contexte reconstitué »
Cette méthode consiste à se remettre consciemment dans nos chaussures d’alors, avec les informations, les émotions et les contraintes qu’on avait vraiment à ce moment-là.
Étape 1 : Lister les informations disponibles alors
Notez précisément ce que vous saviez au moment de votre décision. Pas ce que vous savez maintenant, mais uniquement ce qui était disponible à l’époque.
Étape 2 : Reconstituer votre état émotionnel d’alors
Rappelez-vous vos peurs, vos espoirs, votre niveau de stress, vos priorités de l’époque. Ces facteurs influençaient légitimement vos choix.
Étape 3 : Identifier les contraintes externes
Quelles étaient vos limitations ? Temps, argent, pression familiale, contexte professionnel ? Ces éléments encadraient vos options réelles.
Étape 4 : Reconnaître l’incertitude inhérente
Admettez que même avec toutes ces informations, l’avenir restait imprévisible. Plusieurs scénarios étaient possibles.
Mon test avec la startup ratée
Pour ma décision de startup, j’ai appliqué cette reconstitution :
Informations d’alors : startup de 15 personnes, marché émergent, pas encore de gros clients, fondateurs jeunes et inexpérimentés.
État émotionnel : je sortais d’un licenciement économique, j’avais besoin de sécurité financière, ma copine était enceinte.
Contraintes : pas d’épargne pour compenser un salaire plus bas, besoin d’une mutuelle solide, envie de stabilité après des mois de galère.
Incertitude : 9 startups sur 10 échouent, impossible de prédire lesquelles vont réussir.
Cette reconstitution m’a fait réaliser que ma décision était parfaitement rationnelle avec les éléments dont je disposais. Je n’étais pas stupide, j’étais prudent dans un contexte d’incertitude légitime.
Un exemple frappant de libération
Sandra, professeure de 35 ans, se reprochait depuis des années d’avoir vendu son appartement parisien en 2015 « juste avant la flambée ». Elle se traitait d’idiote financière.
En reconstituant son contexte : divorce difficile, besoin urgent de liquidités, marché immobilier stagnant depuis 3 ans, tous les experts prédisaient une baisse. Sa décision était logique et nécessaire à l’époque.
« J’ai arrêté de me flageller. Cette culpabilité m’empêchait d’investir à nouveau par peur de me tromper encore. Maintenant je peux prendre des décisions financières sereinement. »
Pourquoi cette approche libère vraiment
Mon opinion après avoir testé cette méthode : elle fonctionne parce qu’elle rétablit la vérité de nos expériences passées. Elle nous libère de l’illusion d’omniscience que notre cerveau crée après coup.
C’est comme remettre les lunettes qu’on avait à l’époque au lieu de regarder le passé avec les verres d’aujourd’hui. Soudain, nos choix retrouvent leur logique d’origine.
5 situations où reconstituer le contexte
- Investissement financier décevant : Rappelez-vous l’état du marché, les conseils reçus, vos objectifs d’alors au lieu de vous juger avec le recul.
- Relation amoureuse qui s’est mal terminée : Reconstituez vos sentiments du début, les signaux contradictoires, l’espoir légitime que ça marche.
- Choix de carrière regretté : Revisitez le marché de l’emploi d’alors, vos aspirations, les informations sur ce secteur à l’époque.
- Décision parentale contestée : Remettez-vous dans votre état de fatigue, les conseils contradictoires reçus, l’âge de vos enfants.
- Opportunité d’affaires manquée : Rappelez-vous les risques perçus alors, vos ressources limitées, les échecs similaires observés.
Des transformations libératrices
Michel, commercial, applique cette technique pour ses « mauvaises » prospections : « Au lieu de me dire que j’aurais dû voir que ce client n’était pas sérieux, je me rappelle qu’avec les informations du moment, tenter ma chance était justifié. »
Élodie, maman de deux enfants, l’utilise pour ses regrets éducatifs : « Quand je me reproche d’avoir été trop stricte avec mon aîné, je me remets dans ma peau de jeune maman stressée qui faisait de son mieux avec les conseils contradictoires qu’elle recevait. »
Cette approche m’a réconcilié avec mes décisions passées et surtout avec ma capacité à prendre de bonnes décisions dans l’incertitude, qui est la condition normale de la vie.
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